Depuis mi-2007, je travaille à l'adaptation de mes techniques de prise de vues ultrarapides des papillons en vol à un autre sujet : les libellules.

J'ai du faire face à de nombreuses nouvelles difficultés spécificiques à cet insecte et à son environnement. En premier lieu, il a fallu trouver une solution pour photographier à une plus grande distance qu'avec les papillons afin de ne pas perturber le vol des libellules beaucoup plus sensibles à leur environnement. Ensuite, il a été nécessaire de trouver des solutions pour s'adapter aux conditions de lumière du bord des étangs, souvent moins lumineux, et, donc, moins propices au travail en fill-in au flash, technique que j'utilisais souvent pour alier lumière naturelle et flash pour mes clichés de papillons en plein vol.

L’amélioration de la qualité d’image en haute sensibilité des nouveaux reflex numériques est une aubaine pour ces conditions de travail délicates. Avec eux, les opportunités d’utiliser la lumière naturelle en photo ultrarapide sont beaucoup plus nombreuses. Mais pour en profiter pleinement, il faut abandonner le capteur APS-C pour passer au 24x36. Bien que le 200 mm f/2 reste intéressant avec le grand capteur pour certains clichés d’ambiance, il ne me permet plus de réaliser les mêmes plans serrés tout en conservant une distance de travail confortable. J’ai bien essayé de repasser au 300 mm f/2,8 qui est le parfait remplaçant du 200 mm sur le papier. Mais je n’ai pas été satisfait du rendu globalement un peu moins beau que celui du 200 mm f/2 sur capteur DX. Quitte à passer aux hautes sensibilités offertes par le capteur 24x36, je désirais prendre davantage de risques afin d’obtenir des clichés plus percutants. J'ai donc choisi de travailler avec un téléobjectif de 400 mm f/2,8, pas du tout conçu pour les libellules.

J’ai réalisé les premiers tests du 400 mm associé à mon matériel de prise de vues ultrarapides pendant l’hiver. Les solutions dont je disposais pour maîtriser la faible profondeur de champ du 200 mm f/2 ont pu très rapidement être adaptées à mon nouveau téléobjectif. J’ai ensuite complété ces tests techniques par de nombreuses séances de travail sur le terrain afin d’apprendre à maîtriser le rendu du 400 mm, en particulier dans les zones floues. J’ai principalement travaillé en lumière naturelle mais j’ai également mis en oeuvre des flashs pour voir si le 400 mm apportait des contraintes spécifiques.

Ainsi, j’ai découvert que pour créer un contre-jour bien franc, il pouvait être nécessaire de placer un flash dirigé vers l’objectif à plus de 6 mètres du boîtier. Heureusement, la portée du module de contrôle des flashs sans câble SU-800 fonctionne encore très bien pour cette distance de travail et il n’est pas nécessaire de se déplacer jusqu’au flash pour ajuster un réglage. Avec un tel téléobjectif, il aurait été impossible de piloter les flashs par l’intermédiaire de câbles.

L’arrivée du printemps m’a permis de passer des essais aux premières vraies journées de photos ultrarapides au 400 mm. Afin de limiter les difficultés, j’ai commencé par un sujet que je maîtrise très bien: les papillons en vol. Après un premier week-end catastrophique, les premières images encourageantes sont arrivées grâce à un Vulcain puis grâce aux premiers Flambés de la saison. J’ai tout de même constaté que la faible profondeur de champ était délicate à maîtriser.

Mais lors de mes premières tentatives de photos de libellules en vol, un nouveau problème est apparu. En fait, l’une des qualités de ma barrière lumineuse se retournait contre moi et devenait très pénalisante. La lumière des Lasers que j’utilise se disperse instantanément dès qu’elle touche un objet même plus petit que le rayon ou dès qu’elle rencontre un objet translucide. Ainsi, une fine patte ou une aile transparente déclenchera à coup sûr l’obturateur. Dans des conditions normales, cela est parfait. Mais pour photographier des libellules avec un 400 mm f/2,8, rien ne va plus ! La profondeur de champ est tellement courte qu’il faut faire en sorte que ce soit la grosse tête de la libellule qui déclenche l’appareil mais pas une grande aile translucide placée en avant de la tête. J’ai donc eu besoin de diffuser légèrement la lumière en sortie du laser puis d’adapter la sensibilité de l’électronique de pilotage de l’obturateur. Ce travail m’a beaucoup retardé et je n’ai obtenu des premiers clichés intéressants qu’en toute fin de printemps 2008.

J’ai choisi le 400 mm f/2,8 dans l’espoir de découvrir de nouvelles ambiances crées par l’association de la lumière naturelle et de flashs utilisés en synchro haute vitesse. La pratique sur le terrain a démontré que ce sont les qualités du boîtier 24x36 en haute sensibilité qui ont fait fonctionner ce 400 mm face aux libellules en vol. Le réglage des ISO est devenu un paramètre de prise de vue au même titre que le diaphragme et la vitesse d’obturation. Ainsi, j’ai sélectionné des sensibilités comprises entre 200 et 1600 ISO sans me soucier de la qualité d’image. C’est ce qui m’a permis de vraiment me concentrer sur le rendu des arrières-plans éclairés avec précision par le soleil et le flash simultanément. Et lorsque la lumière est belle, le 400 mm offre, à pleine ouverture, des flous d’une incroyable progressivité avec des nuances à la fois douces et précises. Ce bokeh d’enfer ne réside donc pas uniquement dans les qualités de l’objectif. Il faut également choisir avec soin le point de vue pour magnifier l’arrière-plan. Il est important que le fond soit composé d’éléments placés à différentes distances derrière le plan net afin de ne pas voir apparaître une image trop lisse, trop uniforme. Il est intéressant de rechercher également les contre-jours car ils produisent des transitions dans les flous particulièrement graphiques.

Comparé à une optique macro classique, le 400 mm f/2,8 permet de cadrer plus large sans avoir de problème pour mettre en valeur le sujet principal. C’est une caractéristique fort intéressante pour réaliser des photos d’insectes en vol car le fait de situer l’animal dans son milieu permet de mieux comprendre comment se déroule l’action et quelle est la direction empruntée par la libellule.

Il est vrai que la voie que j’ai empruntée est à l’opposé des conseils qu’on donne pour pratiquer la proxiphoto. On a trop souvent tendance à lier directement les objectifs à un usage unique et à des sujets spécifiques. Ainsi, les optiques macro seraient réservées au gros plans, les 400 mm n’auraient d’utilité que pour le sport au bord des stades et il n’y aurait point de salut en photo animalière sans un 500 mm. Mais rien n’oblige de suivre ces conseils qui ne traduisent jamais que des tendances générales. En pratique, la photo n’obéit à aucun standard et tout est possible sans autre limite que l’imagination du photographe. Je trouve qu’il est passionnant d’explorer de nouvelles voies comme celle que j’ai empruntée cette année en plaçant un énorme 400 mm face à des petites libellules en vol.

A l’issue de cette saison 2008 au cours de laquelle le 400 mm f/2,8 m’a donné quelques images que je n’aurais pas même osé imaginer il y a un an, je me demande si ce couple focale – ouverture constitue l’arme absolue face à mon approche de la photographie ultrarapide. Alors, je me prends à rêver d’une folie qui intéresserait sans doute très peu de photographes mais qui serait un parfait complément d’un futur boîtier numérique doté d’un obturateur grippant au 1/16.000° de seconde. Le 400 mm m’a démontré son efficacité mais il serait sans doute préférable de disposer d’une ouverture plus grande. Et pour ne pas sacrifier le bokeh en réduisant trop la focale, la conclusion tombe sous le sens. Le téléobjectif ultime serait donc un improbable Nikkor AFS VR 300 mm f/2 G dont la mise au point minimale serait de deux mètres. Enfin, un Canon EF 300 mm f/2 IS serait également le bienvenu. Qui mettra le premier sur le marché le successeur du 300 mm f/2 de 1983 quitte à n’en produire qu’une série limitée ? Les paris sont ouverts, mais est-ce bien raisonnable ?





Livre : Libellules

Les libellules règnent en championnes des airs sur le monde des insectes. Déplacements à la vitesse de l’éclair, changements de trajectoire instantanés, vol sur place, marche arrière, elles peuvent tout faire avec leurs ailes. Les clichés de Ghislain SIMARD ouvrent une porte sur ce monde où les actions sont trop rapides pour être observées à l’œil nu.

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Une rotule Really Right Stuff BH-55 complétée d'une monture pendulaire Wimberley Sidekick me permet de conserver une grande mobilité malgré les 6 kg de l'ensemble boîtier-objectif.